Pariétalement nôtre...
- lilychkaya
- 25 nov. 2021
- 7 min de lecture
Chronique diffusée sur RAJE / Novembre 2021
Ce soir j’aurais aimé commencer cette histoire en éteignant d’abord toutes les lumières environnantes. Faire taire un instant cette bonne vieille fée électricité. Je l’avoue, j’aurais aimé qu’il fasse sombre pour commencer cette histoire, et que dans cette obscurité naisse un silence épais, que l’on ne soit pas tout à fait à l’aise. Parce qu‘alors vous plonger dans l’ambiance vacillante d’une torche allumée au fond d’une grotte aurait été plus facile. Je ne parle pas d’un abri au coin d’un feu rassurant, sous la voûte accueillante d’une falaise. Non, je parle du fin fond d’une grotte, de celles où hivernent d’abord les ours, à l’orée de ce labyrinthe que ,l’on devine derrière lui, je parle du fin fond d’une grotte, là où ne règnent que peu d’oxygène et où aucune lumière, jamais, ne vient lever le moindre voile.
Parce que Soudain, là, dans la caverne obscure, de l’ocre rouge , un taureau gracile semble voler juste au dessus de nos têtes, de l’ocre rouge appliquée minutieusement par la paume d’une main humaine sur la paume d’une pierre.
Plus loin le dessin d’une extrême pureté d’un ours dont les contours délicats n’oublient en rien le détail vivant des oreilles mignonnes de l’animal néanmoins imposant…on s’enfonce encore dans le labyrinthe, on lâche définitivement la surface, la lumière, l’air, on s’entortille dessous la terre et on contemple des chevaux au galop puissant que les dessins suggèrent mais que la flamme vacillante animent. Des félins semblent bondir hors des murs, dessinés, gravés, grattés dedans la roche. Puis tout au fond , dans la dernière enclave possible, sur une pierre en forme de longue canine une vénus est dessinée, une vénus dont on devine la vulve qui en s’allongeant finit en tête de lionne….
Mais qui est venu là ? Qui s’est appliqué à tracer ces formes à la lueur de petites flammes dans l’exiguë d’un tunnel, à des centaines de mètres sous la terre…
Car depuis plus de trente mille ans, ces peintures-là se tiennent dans un écrin de roche, de silence et de ténèbres. Et il semblent alors que ces chevaux poursuivent leurs courses depuis une éternité.
Au cours d’une vie, ce n’est qu’en de très rares occasions que nous avons la chance de descendre dans les grandes profondeurs du Temps.
Il y a quelques mois de cela je suis entrée pour la première fois dans une de ces grottes là, dans un de ces espaces presque clos où le temps semble absent, je suis descendue dessous la terre pour me tenir debout mais vacillante moi aussi, comme la petite lumière que je tenais dans mes mains et qui me gardait seule sûre de l’endroit véritable où je me trouvais, je me trouvais là, face à la paroi ornée, exactement là où 17 mille ans plus tôt un homme s’était tenu charbon en mains esquissant des formes que 17 mille plus tard je pouvais encore voir, un autre humain dans des temps qui semblent si lointain qu’il est difficile de s’imaginer une histoire qui commencerait par « il était une fois il y a 17 mille ans.… » Et pourtant.
Depuis cette première expérience qui a laissé en moi une trace aussi indélébile que ces chevaux au galop perpétuel, bien d’autres grottes sont venues hanter mes yeux ahuris, mes yeux émus, amoureux parce que loin d’être une simple idée de l’humanité que nous portons en nous j’avais là un livre millénaires qui semblait vouloir me dire quelque chose et j’ai ouvert dans ma grotte personnelle, le fin fond de ma tête, un nouvel imaginaire fertile et qui me donne le vertige des profondeurs, celle du temps.
Il est peu d’occasion au monde de se retourner derrière 30 000 ans d’humanité et d’y voir des sœurs, des frères, dont on peut, sans jamais pour autant trouver d’explication unique, sentir, ressentir crier comme un besoin de dire, de raconter.
Car comment comprendre ces dessins monumentaux ou minutieux réalisés dans des endroits loin du monde et qui n’étaient jamais leurs lieux d’habitations. Parce que non on ne vit pas au fond d’une grotte, là où il fait sombre, froid, humide. Non on ne rampe pas dans des boyaux étroits à plusieurs centenaires de mètres du soleil pour occuper le temps, on ne se hisse pas pendant des heures sur des échelles de fortune ou à bout de bras pour peindre un taureau ou un ours, juste pour se divertir.
Il semble qu’il y ait un besoin urgent de montrer, de représenter de dire… mais s’avancer sur le périlleux chemin de « que voulaient t’ils bien dire? » est risqué, tentant, mais surtout dangereux car il oublierait au passage dans sa volonté têtue de trouver la vérité, la temporalité immense dans laquelle ces dessins se sont exprimés. Car il y a parfois plus de 20 000 ans qui les séparent les uns des autres. Pas de nous hein, mais bien les uns des autres. La grotte de Lascaux dans le Périgord noire, l’une des plus connue, Chapelle Sixtine en quelques sortes de l’art pariétal, est vielle de plus de 18 000 ans mais la grotte de Chauvet, notre voisine géographique, en Ardèche, elle, date d’il y a 36 000 ans…il y a donc autant de temps qui les séparent l’une de l’autre que Lascaux n’est éloignée de nous. Comment imaginer alors dans ce laps de temps phénoménale qu’une seule vérité ait été dite….. qu’un seul récit ait été raconté.
Je descendais loin sous la terre et pourtant il me semblai presque y voir clair, je ne cherchais pas le pourquoi de ces dessins parce que j’y voyais l’expression d’une urgence, d’un besoin, je voyais exactement ce que je portais moi même en mon sein, non pas la réponse mais bel et bien les questions.
Parce que dans notre volonté universelle à essayer de dire le monde, le représenter, l’organiser, le comprendre, il y a toujours le même élan celui d’essayer de dire quelque chose. Quelque chose du dehors et quelque chose du dedans. Peindre ce qui nous entoure mais aussi peindre ce qui nous hante. Peindre la vie qui bondit, qui galope qui s’engendre, peindre la vulve qui engendre puis qui se transforme , voir la couleur qui habille et qui dévoile, la flamme qui éclaire puis qui meurt.
Et je voyais alors sur ces parois danser la marche de nos pensées millénaires. Comme si nos premiers mythes en quelques sortes voulaient sortir littéralement des murs.
Je n’oublierai jamais cette unique représentation humaine qui hante la grotte de Lascaux. Parmi plusieurs centaines de peintures, gravures, seul un monde de bêtes galopantes paraient exister. Mais voilà. Au fond d’un puits étroit de 4 mètres, d’où il était difficile voir dangereux d’aller, semblant tombé, mourir ou peut être s’élever, un homme est représenté. D’un contour plus que sommaire mais pourtant que l’on ne peut confondre avec aucun autre être vivant. Un humain, là, est dessiné.
Je ne l’oublierai pas parce qu’on ne peut pas oublier ça. je ne sais pas ce qu’il vient bien raconter et peut être même puis-je dire en souriant que je m’en fiche un peu, que très curieusement ce qui me plait aussi c’est que nous ne pourrons jamais véritablement faire parler ces dessins, qu’il restera toujours un voile et qu’il nous faudra accepter que nous ne pouvons pas, ne devrions pas « faire dire » .
Je laisse le soin aux scientifiques d’en découper le sens, d’en disséquer la forme, je garde pour moi le voile fin et mystérieux en place, je l’y laisse, je n’ai pas besoin de faire parler les pierres, je regarde ces parois et je croire voire l’humanité entière, qui se voit et se répète. Une humanité qui s’engendre en engendrant des récits, en fabriquant des mythes, en racontant des questions.
Je me rends compte au fil de mes mots que je voulais vous raconter autre chose, que certes je voulais vous plonger dans l’obscurité d’une grotte mais que c’était pour nous emmener dans le dédale de nos constructions collectives complexes et très anciennes, là où vivent nos mythes, je voulais me faufiler dans la peau d’une mythologue qui vous aurez convaincue que sans récits, sans mythe, sans représentation, nous ne sommes pas Humains.
Parce qu’il serait stupide de croire que nous avons arrêter de créer des histoires, des histoires que nous engendrons et qui finissent par nous engendrés.
Je voulais parvenir à parler d’Aujourd’hui et je me suis égarée dans l’histoire ancienne.
Ce que je voulais c’était tout simplement vous parler d’un petit livre d’une quarantaine de pages, un essai écrit par Alessandro Barrico et qui s’intitule « ce que nous cherchons.
Je dois l’avouer c’est la seule réflexion véritablement intéressante que j’ai pu lire sur le sujet de la Pandémie. Voilà j’ai dit le mot.
Mais la pandémie traitée non plus comme un fait seul à affronter, à terrasser mais comme une histoire, un mythe que nous nous sommes préparés peu à peu à vivre, dont nous avons posé une à une les briques solides et qui vient dire, crier plutôt quelque chose.
Je me permet ici d’en citer un très court extrait.
« Parvenir à envisager la pandémie comme une créature mythique. Beaucoup plus complexe qu’une simple urgence sanitaire…mais plutôt comme une construction collective dans laquelle différents savoir et de nombreuses ignorances ont contribué à l’ existence.
Les créatures mythiques sont des produits artificiels à travers lesquels les humains annoncent à eux mêmes quelque chose d’urgent et de vital. Ce sont des figures dans lesquelles une communauté entière organise la matière chaotique de ses peurs, de ses convictions, de ses souvenirs et de ses rêves.
C’est un phénomène artificiel certes, mais confondre artificiel et irréel serait une erreur stupide, car le mythe est peut être la créature la plus réelle qui soit.
Le fait que nous nous soyons rendus sans conditions à la toute puissance de la méthode scientifique nous a rendu par là même incapable de lire les mythes que nous fabriquons ».
Parce que nous n’avons pas fini de dessiner des formes étranges tout au fond de nos grottes, de construire des mythes tout au fond de nos têtes, mais en chemin dit Barrico ; prenons garde à ce que nous cherchons.
Mais voilà, je ne suis pas parvenue à parler convenablement de ce aujourd’hui- là, je suis restée bloquée dans la grotte, avec ma lumière et avec l’ocre, je suis restée là, là où je m’émerveille, pas par envie de fuir, non, au contraire…. Je me disais qu’à n’y comprendre pas grand chose devant ce que nous vivons je préfère me souvenir qu’un peu de ténèbres dans la lumière du jour n’a jamais empêcher personne d’y voir, mais qu’une seule flamme, même vacillante dans les ténèbres les plus profondes, cela suffisait pour éclairer ce qui compte et peut être même pour essayer de voir ce que nous cherchons.
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