La promesse de l'aube
- lilychkaya
- 4 mai 2024
- 7 min de lecture

Je me souviens écrire ce que je voulais être une lettre adressée à ma mère du haut de mes quinze ans, lettre que je ne lui fit jamais lire, une lettre restée en suspension dans l’air de mes quinze ans mais dont les mots tracés sont restés dans ma mémoire comme un fil fragile mais jamais rompu et que je devais aujourd’hui encore tenir du bout des doigts « Être aimé par toi est une chance immense et une malédiction terrible, ton amour c'est tout cela en même temps, car qui m’aimera ainsi, de cette manière, de cette force, qu’importe mes coups de bleu, mes accès de noir, qu’importe qui, où ou comment…. Qui m’aimera autant…personne, jamais. Et le pire c’est que je sais que je te perdrais un jour pour de bon et qu’il me faudra faire sans toi et sans cet amour sans conditions »
Il faut vous dire, sans tout vous dire, que j’ai failli perdre ma mère lorsque j’avais 13 ans, et durant les quelques jours en suspend eux aussi où je devenais comme orpheline, je touchais du bout de moi l’infini vide qui se serait profilé alors si j’étais devenue cette orpheline là, être seule sans toi, être avec les autres sans toi, être femme, être mère, sans toi.
Ma vie fut ainsi jalonnée de nombreuses lettres qui firent la différence, des lettres d’amour, des lettres d’adieu, des lettres d’excuses, les miennes ou celle des autres, des lettres pleines de malices, pleines de bêtises et de tendresses, des lettres que l'on écrit pour ne pas devenir folle mais que l’on envoi surtout jamais pour ne pas être prise pour une folle, des lettres que l’on cache, que l’on brule ou celle que l’on chérit encore longtemps après les avoir reçues… des lettres…. Et puis celle là, gardée pour moi, cette déclaration d’amour très maladroite à ma mère que je remerciais et maudissait aussi, un peu, de m’aimer tant, de m’aimer quand même malgré l’adolescente ingrate et égoïste qui tentait de se faire une place dans la jungle de ses 15 ans.
« Bon mais qu’est ce qu’elle a maintenant celle là à nous parler de sa mère?? D’abord la grand mère, puis le fils et voilà la mère qui débarque… » quel étonnement pour moi d’être là à essayer de vous parler de tout ça alors que je bous intérieurement, que je suis en petits morceaux, en colère presque tout le temps, comment je peux teinter tous mes écrits, toutes ces chroniques de cette nostalgie parfois à la limite d’un optimisme mielleux, poético-mélodramatico, doucereux tendre et enrobé … en anglais on dirait « cheesy »…genre fromage coulant.. si vous voyiez l’image.
Comment, pourquoi, à chaque fois que mes doigts se libèrent sur un clavier, se griffonnent sur un bout de papier, s’encrent de noir, parce que je n’écris qu’en noir bien sûr …. et bien tout devient… bleu?
Mais au diable Vauvert le bleu, je suis en colère, pleine de colère sans raison, pleine de cris que je ne fais plus résonner, pleine de larmes que je ne déverse plus ou si peu, pleines de doutes que je cache, que je recouvre hâtivement comme coupable d’un meurtre sans corps mais dont l’odeur se fait sentir…je retiens, je barricade, je consolide…. « bon mais qu’est ce qu’elle a celle là? »
Et bien elle a…un jeune enfant, elle a qu’elle est devenue mère très récemment…… et j’ai pris tout le paquet qui s’ensuivait, la totale ; les peurs, les doutes, les charges mentales, le marbre et le granit aussi, tout ça bien ficelé, « pas bougé » on a dit.
J’ai peur surtout, oui, comme sûrement tous les parents sur cette terre ou presque parce que bon y’a des gens bien, des tonnes dit-on et j’y crois… mais y’a aussi un paquet de con, euh on a le droit de dire ça à la radio, on sait jamais désormais on pourrait décider que c’est pas suffisamment correct, que ça offense des gens, et c’est connu c’est pas bien du dire du mal… mais oui y’a des cons, des voleurs, des cruels, des menteurs au regard fier, des pleutres, des sans cœur ou à demi, des orgueilleux, des affabulateurs, des qui croient en rien mais qui disent que c’qui pensent et ils pensent pas grand choses mais ils en font un de ses bruits… bref y’en a des qui…
Et ce que je découvre avec le temps et la fatigue peut être aussi c’est que parfois j’en suis, moi aussi un de ces y’en a qui… parfois et bien c’est moi la conne, celle qui se cache, qui s’énerve, s’orgueil, s’évente et se colère pour un rien, celle qui pense bien à elle avant le malheur du monde…mais bon je vais pas allez trop loin parce que je suis vulnérable et que quand même faut pas abuser je suis humaine, donc pas parfaite, mais je tiens à mon humanité, à ma tendresse et à ce foutu espoir que je trimballe aussi, bien ficelé… « pas bougé on a dit l’espoir ».
Alors non je ne m’apitoierai pas sur mon sort, je sais, un peu, tout juste, à peine, le malheur du monde, et j’ai pas le droit de faire pleurer mamie dans la chaumière, d’ailleurs elle y est plus…ah non, tu vas pas recommencer avec mamie… non, je ne me plaindrais pas, je suis juste fatiguée et mon enfant a un an et des poussières et c’est une merveille, un boucan merveilleux mais bon un boucan quand même alors voilà je suis un peu en colère parce que je suis fatiguée que la vie est moins légère que ce qu’elle n’était, « c’est ça grandir ma vieille! » Je suis une jeune mère au cheveux parsemé de blanc aux rides parcheminant mon visage, re-dessinant mes yeux et leur regard, bref j’ai le visage qui n’est, pour sûr, plus celui d’une enfant. J’ai pris de la graine comme on dit, je l’ai même mise au monde et je découvre qu’en plus d’être bien réelle et bien elle n’est même pas à moi, parce que comme dirait le poète (et oui on ne se change pas) Khalil Gibran dans Le prophète
« Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils viennent à travers vous mais non pas de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas…. »
Alors je sais pas bien quoi en faire moi de toute cette colère, de cette fatigue, d’être un peu perdue, un peu voilée derrière le destin d’un autre que j’ai choisi d’accompagner, du mieux que je peux et je peux pas toujours si bien…. mais je tiens, c’est ça, le granit maintenant c’est moi, c’est moi qui dois… penser, repenser, prévoir, compter, anticiper, m’inquiéter, qui doit comprendre que "moi moi moi » bein c’est un peu fini, c’est un peu derrière moi et que la vie jamais ne se retourne et que c’est peut être aussi bien comme ça, ça évite les brouillons infinis, les « je ferai demain » qu’hier aura mangé, faire un enfant ça projette d’un coup dans le temps et ça fait sacrément peur… putain je pensais pas qu’on pouvait avoir aussi peur, et je pensais sincèrement pas qu’on pouvait penser à la mort comme ça…parce qu’après tout c’est aussi ça que je lui ai offert sur un plateau , sa finitude…. « merde mais ça fout le cafard ce que tu racontes là et tu devais pas plutôt faire une chronique sur ta mère..c’était quand même moins austère… » parce qu’à la base, croyais-le ou non j’avais fait tout plein de recherche sur la fête des mère, d’où ça vient et pourquoi et la Grèce antique, le christianisme et la seconde guerre et Pétain et Vichy…parce que « et oui la fête des mère mes chers y’a du Pétain dans l’air… «
Bref
Je voulais vous parler de nos mères, de leur amour insensé et de ce qu’elles laissaient parfois derrière elle et puis je me suis rendue compte que j’y arrivais pas, pas encore, pas assez bien,… je comprends tout juste que le postpartum ça dure pas trois mois ou six mois ou je ne sais ce que les experts disent, ils me fatiguent eux aussi, j’ai ouvert les vannes parce que ça je sais quand même encore très bien le faire, une de mes spécialités même vous diraient ce qui me connaissent, et j’ai commencé à parler de ce mal être, de ce à coté de mon être que je ressentais cette dernière année, l’impression malaisante de ne plus être tout à fait l’héroïne de ma propre histoire, j’ai parlé sans rien demander aux autres j’ai juste témoigner de ce bonheur immense qui cohabitait avec un certain désespoir parfois tout aussi grand, que la vie qui faisait tant de bruit se mêlait avec la peur nouvelle de pouvoir tout perdre d’un coup, d’être faillible et que ça n’engageait plus que moi et mon petit « moi moi moi »…et je remercie ces amies, ces sœurs, ces belles inconnues d’avoir répondu à mes vannes ouvertes et béantes par les leurs, de m’avoir dit parfois en souriant que leur postpartum avait duré deux ans, trois ans, qu’elles en revenaient à peine, ou pas vraiment, qu’elles tremblaient parfois sans le dire, sans que ça se voit, qu’elles avaient appris l’art du camouflage, l’art de la force pour l’autre même quand elles en manquaient mais qu’elles me promettaient, elles l’ont toutes fait, que tout ça, ça se transformait, comme tout le reste, et que dans l’ombre de mon enfant grandissant mon ombre à moi aussi aller se remplumer, se densifier et s’étendre à nouveau…
Bon tout ça c’était une façon très bancale de remercier ma chère mère de son amour incroyable, son bloc de granit à elle, sa montagne de tendresse, sa croyance déraisonnable en moi, c’était pour lui dire du bout des lèvres, aujourd’hui "Merci maman, merci pour la bénédiction et merci aussi pour la malédiction, parce que si je suis sûre qu’aucun homme, aucun ami, ne m’aimera jamais autant que toi et bien j’en accepte le poids, la couleur et aussi l’espoir…
Et je finirai avec le mot d’un autre, c’est plus facile pour cette fois, voici donc ceux de romain Gary dans La promesse de l’aube (vous allez voir c’est tout plein de bleu et de noir) : « Avec l’amour maternelle la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tiendra jamais »






















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